Le 05 novembre 2019 avait lieu la projection du film documentaire Pour Sama à l’Utopia de Borderouge (Toulouse), suivie d’une rencontre avec Sabr Darwish, chercheur et journaliste syrien.

Diplômé de l’Université de Damas, il a publié deux livres entre 2015 et 2016 :

  • Syrie : L’expérience des villes libérées (Syria: The Experience of the Liberated Cities– Dar Al-Rayes – Beirut, 2015)
  • Les Tragédies d’Alep : La révolution trahie et lettres des assiégés (The Revolution Betrayed: Aleppo Tragedies and Trapped Messages – Al-Mutawassit – Milan 2016).

Le pôle Réfugi’Aide du Bureau de l’Humanitaire, qui a vocation à accompagner les migrants et les réfugiés sur Toulouse et dont les membres se sont rendus à l’événement, a souhaité s’exprimer sur le sujet.

L’objectif de cet article est de partager notre ressenti sur un film qui nous a profondément marqué de par la réalité des images qui se sont offertes à nous, intégralement filmées par Waad al-Kateab, une femme syrienne mais aussi une mère.

Elle a souhaité filmer sa vie sous les bombardements à Alep lorsque la guerre a éclaté en 2011, afin d’en informer l’humanité et surtout pouvoir raconter et tenter d’expliquer l’extrême à sa fille, Sama. 

Pour Sama, film documentaire ayant reçu le prix de l’Oeil d’or au festival de Cannes 2019, a été réalisé par Waad al-Kateab et Edward Watts.

La caméra de Waad nous plonge au milieu du conflit syrien de 2011 à 2016 et des différents événements vécus par les habitants d’Alep de la riposte révolutionnaire au siège de la ville. Au-delà de la problématique politique, géopolitique et idéologique du conflit, s’est surtout le vécu des Alépins que Waad a souhaité retranscrire afin d’alerter les consciences citoyennes et les pouvoirs politiques dans le monde. Le film débute par une lettre que Waad adresse à sa fille Sama et par cette phrase terriblement vraie : “Quand les bombardements ont commencé, nous ne pensions pas que le reste du monde permettrait ça…”. Le film a donc vocation à nous donner à nous spectateurs, nous Français éloignés de ces préoccupations quotidiennes, une image bien plus réelle et bien plus empathique que celle retransmise dans les médias.

La majorité des scènes se déroulent dans l’hôpital construit par Hamza, le mari de Waad, et ses amis. Les réalisateurs n’ont cherché aucunement à cacher la violence de ces scènes où deux couleurs dominent : la couleur rouge du sang sur les corps des victimes et la couleur grise de la poussière provoquée par les bombardements.

Mais au-delà de cette violence et de cette noirceur, c’est l’espoir et la volonté acharnée de continuer à vivre qui animent les personnes du film et qui en font ainsi des figures attachantes. Créer un sentiment d’empathie est l’un des objectifs du film, créer et nourrir un mouvement de solidarité citoyen notamment dans l’accueil de ces populations réfugiées. 

Voici quelques témoignages et impressions des membres de Réfugi’Aide suite au visionnage de ce film :

“La violence extrême des faits est une réalité qui s’est imposée à nous de manière brutale, et à laquelle je ne m’attendais pas. Il n’est plus possible de fermer les yeux face aux opprimés du mondeLe premier ressenti qui m’est parvenu était un sentiment de gêne. J’ai en effet eu la sensation d’être un spectateur impuissant s’immisçant dans un drame qui d’une certaine manière, a été trop étouffé pour que le simple français que je suis puisse comprendre et vraiment visualiser les conditions de vie des syriens.J’aimerais que vous imaginiez la vie standard d’un alépin à l’époque des faits. Les bombardements sont omniprésents, les enfants ont école à 20 mètres sous terre, et le paysage urbain s’apparente à un champ de ruines. D’une journée à une autre, on n’est pas sûr de rentrer chez soi. La première question que je me suis posé en tant que spectateur, c’est pourquoi malgré les bombardements, certains sont restés au péril de leur vie. Pourquoi risquer sa vie et celle de ses proches lorsque l’on pourrait s’exiler, fuir, partir ? Fuir, c’est justement contre la fuite que se bat Waad qui, en restant à Alep comme beaucoup d’autres, essaie tant bien que mal de résister en continuant de vivre, nourrie par l’espoir de retrouver une vie normale tout en menant un combat d’insoumission contre le régime en place.A mesure que l’inconnu subsiste et que l’horreur grandit, Waad pense au futur de sa fille en essayant de filmer chaque moment important. Une scène m’a particulièrement marqué, on y voit un père de famille chanter une comptine à sa fille non pas dans un but d’amusement mais de survie ; en effet, les paroles sont axées sur une règle, ne pas toucher les objets potentiellement explosifs. Le chanter permet visiblement à l’enfant de retenir la règle. D’ailleurs, les enfants semblent être parfaitement avertis face au danger des armes de guerre dont ils connaissent les modèles et les calibres utilisés contre eux, et ce dès leur plus jeune âge. Malgré cela, la vie continue. Waad nous partage également ses moments de joie et de bonheur, notamment lorsqu’elle se marie ou qu’elle met sa première fille au monde. De ces moments semble s’installer une sorte de calme envahissant, presque inquiétant, un peu comme si la réalité du monde extérieur s’arrêtait subitement, avant de revenir frapper de plus belle. Le courage des civils et leur résistance face à ce qu’ils endurent est hors du commun. Il ne s’agissait plus que d’une grande famille à l’espoir collectif de retrouver une vie normale auprès des leurs dans un pays qu’ils chérissent malgré ce qu’ils y subissent. La condition des exilés et des réfugiés en France laisse un goût plus qu’amer lorsque l’on sait dans quelles circonstances ces personnes sont parties et sont venues jusqu’à nous, laissant derrière eux des membres de leur famille, des amis, un foyer, une vie.”            

Quentin Viard

“J’ai pu voir le film Pour Sama à deux reprises et il m’a profondément marquée pour différentes raisons. Tout d’abord, nous pouvons ressentir à la fois un sentiment d’horreur, d’injustice et de colère mais la barrière de l’écran de cinéma nous ramène toujours à notre propre réalité de simple spectateur et nous empêche de réellement appréhender la leur, de réellement appréhender cette violence quotidienne et la peur omniprésente que l’on ressent tout au long du film. Le film a vocation à nous toucher et à nous interpeller mais, bien qu’il soit d’une extrême réalité (réalisé à partir d’images filmées sous les bombardements) cela demeure du cinéma et il est difficile de véritablement se mettre à leur place et de vivre les choses avec la même intensité et la même terreur qu’il ont pu connaître au fil des jours pendant la prise d’Alep. Ce qui est terrifiant c’est de se rendre compte du caractère très arbitraire des bombardements qui touchent très souvent des civils, des innocents, des enfants et détruisent en quelques secondes des familles entières et leurs foyers. Les bombardements visent également les hôpitaux ce qui contribue, comme l’explique très bien la réalisatrice Waad, à détruire le moral des habitants. Cependant, face à cette tragédie, la solidarité est de mise. On s’organise, on essaie de faire au mieux pour soigner les blessés sans la moindre ressource, dans des conditions très précaires mais toujours avec l’espoir accroché au cœur. Les enfants alépins sont aussi une figure centrale du film, figure à la fois très vulnérable et innocente mais aussi très sensée et mature vis-à-vis du conflit, de leur destinée. En effet, qui a l’âge de 5 ans, tout au plus, pourrait reconnaître le bruit sourd des bombardements et immédiatement se réfugier à l’intérieur ? Eux le peuvent. Ils le peuvent car ils ont dû apprendre à vivre avec, à vivre une enfance détournée, une enfance qui leur a été volée. Et malgré cela, les visages continuent à s’éclairer de leurs sourires et d’une forme d’optimisme et d’espérance. Une phrase qui m’a profondément marquée dans le film c’est lorsque l’on demande à un petit garçon d’environ 8 ans quel métier il souhaite exercer plus tard et qu’il répond de manière très lucide mais à la fois désolante : « Je veux être architecte pour reconstruire Alep ».Enfin, je pense que l’on pourrait résumer ce film, et plus particulièrement le rapport de la réalisatrice Waad avec sa fille Sama, par la notion de déchirement. Déchirement entre la culpabilité de lui faire vivre ces horreurs et la volonté de combattre pour la liberté, déchirement entre la peur quotidienne et l’espoir d’une libération future.” 

Marine Gacogne

“Bien souvent les mots ne suffisent pas, c’est ce qu’a compris Waad al-Kateab en filmant les horreurs de 2011. Un tel film ne peut pas laisser indifférent. Voir et entendre tous ces avions bombarder expressément les hôpitaux et lieux où se cachaient les civils est révoltant. Comment l’humain a-t-il pu devenir aussi mauvais ? Pour Sama m’a transportée dans un tourbillon d’émotions, j’ai ressenti de l’angoisse, de la souffrance, de la peine, de la colère, et étonnamment de la joie et de l’espoir. Je me rappelle par exemple du visage émerveillé de cette femme à la vue d’un kaki offert par son mari, je ne pouvais m’empêcher de sourire. Les bombardements avaient fait perdre à la terre sa fertilité, et malgré cela, ce kaki avait pu pousser. Cette scène nous montre d’une certaine manière que la vie peut continuer, même en temps de guerre, et cette idée revient à travers plusieurs autres scènes. Selon moi, l’originalité de ce film documentaire tient au choix de la réalisatrice de ne pas se contenter de représenter la guerre sous un angle politique. Elle a su nous donner un aperçu de la vie d’un civil en tant de guerre en nous faisant entrer dans son cercle d’amis, et en partageant avec nous les bons comme les mauvais moments. Nous ne les voyons pas seulement mourir un à un sous les yeux de leur famille, nous ne les voyons pas seulement pleurer ou faire le deuil d’amis, de frères, ou de voisins ; Non… Nous les voyons aussi manger ensemble, chanter, danser, célébrer des mariages, s’amuser avec leurs enfants… Cela m’a surprise de voir cette force qu’ils avaient de continuer d’essayer de vivre malgré tout, et j’en retire un bon enseignement : Lorsque tout va mal et qu’il semble ne plus y avoir d’espoir, il y a deux options : se laisser éteindre, ou se battre en gardant les yeux fixés sur la lumière.Qu’auriez-vous fait à leur place ? C’est la question que j’avais en tête tout le long du film : « Si c’était toi Ines, qu’aurais-tu fait ? ». Aurais-je eu la force de sortir faire mes petites courses alors que des bombes sont susceptibles de tomber à chaque seconde ? Car, contrairement à un film ordinaire, dans lequel le personnage principal, ou le « héros », survit à toute éventualité, tous peuvent mourir dans Pour Sama ; leur vie ne tient qu’à une bombe.  Je pense donc que non, je me serais sans doute cachée, ou j’aurais certainement fui le pays depuis longtemps… Les civils dans Pour Sama n’ont pas fait ce choix, ce sont des battants : ils ont essayé de vivre pour leur pays, ont mis en place un hôpital de bénévoles pour les blessés, filmé la guerre (les blessés, les morts, les bombardements, la répression…) et témoigné à la presse. Ils ont lutté pacifiquement jusqu’à la fin pour leur pays contre le régime de Bashar El-Assad, et je trouve cela particulièrement encourageant. En tant que membre du pôle Réfugi’aide, je vous invite donc tous à considérer cela : lorsqu’un réfugié ou un migrant arrive dans votre pays, n’ayez plus ce réflexe de le rejeter, cherchez à connaître son histoire.”

Ines Agossou

Share This